Le 11 décembre 2003, un lieu d’exposition ouvrit ses portes, rue de Bourgogne à Orléans. Sans vitrines ni trompettes, Frédéric Brandon, premier artiste invité, posa symboliquement la question : “Qu’est-ce que la peinture ?”. Ainsi commença l’histoire du “Garage”, galerie d’art contemporain que venait d’imaginer Michel Dubois. Actuellement fermé.

Guillaume Brabant & Philippe Charlet

Cultures mortes

13 – 21 mai 2006

Guillaume Brabant

Il a réussi à transformer son atelier (un gentil salon de coiffure désaffecté) en abattoir. Sans doute pour répondre aux besoins galopants du commerce de proximité. Pas de quartiers !
Des carcasses encadrées sont dressées à l’étalage, livrées à notre bon plaisir de clients tortionnaires ou badauds voyeurs, des corps désarticulés, ou pré démembrés, des chairs des muscles et des tendons, des boursouflures qui sanguinolent doucement dans une pénombre de nature morte. Des femmes ou des fauteuils à la limite de l’éraflure, soigneusement préparés au scalpel sec par le Sérial Malher. Les femmes se désarticulent encore un peu dans des postures douloureuses, les fauteuils luisent d’un éclat de skaï tendu, prêt à éclater à la première touche. Dans un instant, ces restes de conforts domestiques outrepassés vont vomir les tripes. A discrétion : morceaux choisis de sujets avariés. Etudes ou équarissades ?
La peinture nous rappelle qu’elle est, en surface, affaire de tissus ou de peau. Affaire de toile, comme son cousin le cinéma quand on voit s’abattre contre l’écran les grands chevaux blessés des Westerns, ou s’y coller les petits bouts de cervelle giclés des films à la mode. On en est resté plus d’une fois calé dans le fauteuil.
La peinture est tactile. A force d’effleurer la peau, on sent parfois couler le sang dans la viande. D’ailleurs les peintres n’hésitent pas, certains vont même jusqu’à s’appeler Boucher, ou Bacon.

« Ikéo », c’est ainsi que les Sioux ont baptisé Brabant, ce qui veut dire « celui qui parle à l’oreille des fauteuils ». Il est le garant d’un vieux savoir. Il connaît le rituel de transfiguration. C’est un chaman, peut-être un sage, mais je ne lui confierai pas mon canapé ni même ma femme.

Jean-Philippe BOIN


Philippe Charlet

En réactualisant les traditions classiques des natures mortes, vanités, trompe-l’œil et peintures réalistes, la série de vingt-cinq tableaux* de Philippe Charlet explore les ravages du culte de la Pensée aliénée dans nos sociétés démembrées et déboussolées. L’ensemble est d’une modernité surprenante, déconcertante, décapante, dissonante. Loin des douceurs en vogue, des fadeurs compassées, des dérisions convenues, des émotions à bon marché, des subventions, collaborations ou subversions de salons, ces « Cultures mortes » se portent au chevet des civilisations occidentales comme un entomologiste ou un chirurgien observe, puis transperce les organismes. Étiquetés, épinglés, disséqués, les objets de la tradition et de la vie contemporaine incarnent pour Philippe Charlet les signes d’une intoxication planifiée et généralisée, qui compte ses impacts : le consentement à la soumission, la lucidité dans la fermeté, les fissures de l’inconscient. Signes rehaussés par des figurations déchirantes, des reproductions parcellaires d’articles de presse, des couvertures de livres évocateurs, de pénétrantes associations de couleurs. Dans ces subtiles mises en procès et en abîme, la Prédation s’impose, fil d’Ariane reliant tous les tableaux. Les rêves de Lumières et de grands soirs et de sorts universels se sont mués en attentes de nouveaux cauchemars, les espérances en effrois. Le carnage et le décervelage, l’aveuglement et l’hypnose, la machine et la technologie, l’affairement et les affaires règnent. L’explosion ou l’implosion tissent l’esprit des lois d’une jungle, que cette saisissante exposition nous invite à contempler. Longtemps, intensément. Avec ou sans « mode d’emploi ».

*Exécutées avec une extrême finesse au crayon de couleur sur papier marouflé sur panneaux de chêne, ces œuvres forment un polyptyque. Chacune est encadrée dans une boîte en chêne et contient un livre de vingt-cinq pages, composé des photos de la série et d’écrits conçus en « parallèle ». Comme des jeux de miroirs fidèles et décalés, les textes s’aventurent dans l’univers des tableaux à travers des objets, mots, thèmes, idées, pensées, rêveries, formes, couleurs…